Pour une reconnaissance de l’égoïsme sain
L’égoïsme est un terme qui suscite des passions. Certains Hommes lui vouent un culte sans borne, tandis que d’autres l’appréhendent en tant que diable dont l’existence serait à châtier voire à bannir.
Qui n’a jamais entendu les assertions suivantes : ‘Ne soit pas égoïste ! Si tu fais ça, ça veut dire que tu es égoïste ! Tu ne penses qu’à toi, égoïste ! Arrête de penser à toi, un peu ! Tu ne pourrais pas penser à tes parents au lieu d’être égoïste ! De toute manière, moi je suis égoïste et c’est tout !’.
Afin de dépasser ces extrémités, je prône la reconnaissance d’un égoïsme sain. À quoi cela renvoie-t-il ?
1. L’égoïsme sain préserve et soutient
L’égoïsme sain est un égoïsme qui nourrit les forces de vie. Il fait partie des processus favorisant le bon développement de tout individu.
Nous avons tous besoin d’une dose d’égoïsme. Sans quoi, comment pourrions-nous avoir conscience de nos propres limites et les matérialiser ? L’égoïsme sain soutient donc le ‘je’ tout en préservant l’existence d’autrui. Il n’écrase pas ; il préserve et soutient.
S’oublier au profit des désirs, des souhaits et des attentes d’autrui va à l’encontre des forces de vie. Penser à soi est sain. Lorsque nous nous éloignons de notre essence, c’est-à-dire de l’énergie qui circule en nous et qui fait que nous sommes nous et pas quelqu’un d’autre, nous constatons bien souvent une perte de vitalité. Celle-ci nous signale que nous ne sommes pas en cohérence avec ce qui nourrit la vie en nous.
Il peut s’agir de boire une bière lorsque nous y sommes invités alors que nous n’aimons pas cela, de prendre sur soi et d’accepter de fêter Noël avec les mêmes personnes tous les ans car cela correspond aux habitudes familiales alors que nous avons envie de tout autre chose, de ne pas divorcer de son époux ou de son épouse car nous lui avons promis de ne jamais divorcer alors que nous suffoquons à l’intérieur de cette relation depuis des années.
Chaque effort émis afin de déployer une action non conforme à notre essence a pour conséquence d’appauvrir nos réserves énergétiques. Avec le temps, le réalignement avec notre Soi profond peut se compliquer davantage en raison d’un effet d’usure. De fait, l’effort pour revenir à la surface diffère qu’on se situe à 1 ou à 10 mètres de profondeur, et peut requérir plus ou moins d’énergie en fonction de sa fréquence ainsi que de l’importance de son écart avec notre essence.
Victoria ne comprend pas le mal-être qui la suit. Elle enchaîne déception sentimentale sur déception sentimentale depuis plusieurs années et a l’impression qu’elle ne s’en sortira jamais. Elle exprime faire de son mieux depuis son plus jeune âge afin de répondre aux attentes de ses parents. Ces derniers resteraient toutefois de marbre face à ses efforts et accomplissements. Elle dit être épuisée tout en ayant l’impression de passer à côté de sa vie.
Au fur et à mesure du travail psychothérapeutique, Victoria revient sur certains éléments de son enfance ainsi que sur le sentiment de ne pas réussir à satisfaire ses parents. Elle prend conscience de ses désirs profonds et du coût énergétique occasionné par l’incarnation d’une version d’elle-même correspondant aux désirs émis par ses parents mais ne correspondant pas à ce qu’elle est profondément[1].
Une partie du travail effectué a donc été d’aider Victoria à se sentir suffisamment en sécurité pour pouvoir laisser émerger et accueillir les parties de sa personnalité et de son être en souffrance. À l’image de Victoria, est-il possible de mettre en mouvement les parties de notre être en souffrance ?
2. L’égoïsme sain favorise l’incarnation de notre être
Un des enjeux de notre incarnation est de nous autoriser à vivre notre vie tels que nous sommes et quelles qu’en soient les conséquences. Une fois adulte, nous ne sommes plus censés être des enfants impuissants face à des parents (ou des figures d’autorité) tout-puissants. L’action qu’il était difficile voire impossible de poser en tant qu’enfant ou adolescent n’est plus censée l’être une fois devenu adulte. Cela requiert une intention claire, de la volonté, de la bravoure ainsi que la pose d’une action concrète.
La peur des conséquences inhérentes au déploiement d’une action peut contribuer à son inhibition. Il importe dans ces cas-là d’accueillir la peur présente et de l’aider à se transformer. Une fois fait, une décision est à prendre : nager dans de la boue et rester empêtré à vie dedans, récupérer des forces et en sortir progressivement ou décider présentement de s’en délester.
Une lueur d’espoir est toujours présente, qu’on ait conscience de son existence ou non. Il est parfois difficile voire impossible d’appréhender sa présence. Nous l’appréhendons parfois des années après son apparition.
Les actions posées afin de nous (ré)aligner avec ce que nous sentons juste du plus profond de notre être sont suivies d’un gain, d’une préservation ou d’une perte énergétique transitoires. La seule variable stable est la sensation de justesse ressentie lorsque la décision a été prise et l’action posée ; sensation qui peut disparaître ensuite et qui a pourtant bel et bien existé. Se reconnecter à cette sensation de justesse fait partie du chemin inhérent à l’incarnation de l’action posée et de ses multiples destins.
La justesse est bien souvent accompagnée d’un vécu d’évidence. Des mots ne sauraient véritablement la retranscrire. Elle relève du registre des sensations, de la vie intérieure et ne répond ni au bien, ni au mal. Elle peut parfois blesser émotionnellement autrui, sans que cela soit pour autant intentionnel.
Sergio s’est senti obligé d’abandonner silencieusement femme et enfants car il n’arrivait pas à être suffisamment disponible émotionnellement pour leur faire part de son souhait de quitter le domicile familial et de ‘vivre enfin ma vie’. Sergio s’est soustrait à ses responsabilités parentale et maritale en quittant de la sorte sa famille. Ce départ lui a toutefois été vital. Il lui a permis de créer en lui l’espace nécessaire afin d’entamer une profonde remise en question favorisant l’apparition d’un nouveau sens perçu, donné à son existence. Il a ensuite recontacté sa famille.
L’égoïsme sain peut être cruel pour les proches vivant avec les conséquences de l’action posée. Il importe à chacun de vivre avec les conséquences de ses actes.
La justesse et l’évidence ont parfois de lourdes conséquences que porte également la personne décisionnaire de l’action posée. Tout n’est pas blanc ou noir. Il revient à chacun de penser et panser ses blessures, aussi difficile que cela soit. Cela n’excuse toutefois en rien les comportements d’individus se soustrayant à leurs responsabilités. Un long chemin de compréhension, d’empathie, de pardon, de paix et d’amour peut ensuite s’enclencher. Il est parfois le chemin d’une ou de plusieurs vies.
3. L’égoïsme sain est un phare
L’égoïsme sain n’écrase aucunement autrui. Il ne cherche pas à s’imposer et à imposer quoi que ce soit, à qui que ce soit. Il favorise et nourrit l’ouverture et la créativité. Bien porté, c’est un phare. Il permet aux individus confrontés au contact d’un égoïste sain de prendre conscience qu’il leur est possible de vivre aussi leur vie tels qu’ils sont.
L’égoïste sain s’inscrit dans un chemin de libération et de maîtrise. L’égoïste toxique, lui, s’inscrit dans un chemin de contrôle et de perte de repères. Alors, soyez des égoïstes sains ! Soyez-vous-même ! Chacun fait de son mieux, là où il en est. Bien que cette réalité puisse paraître cruelle, elle est.
Malgré toutes ces considérations, penser à soi n’est-il pas trop égoïste ?
Penser à soi ne revient pas à exclure autrui ou à ne pas prendre en considération ses besoins. Penser à soi revient à s’aligner avec sa nature profonde et à poser des actions en alignement avec celle-ci. Autrement dit, l’égoïste sain est doué d’empathie ; il a « la capacité à se mettre à la place d’une autre personne pour comprendre ses sentiments ou à se représenter la représentation mentale d’une autre personne. » (Boulanger et Lançon, 2006). Bien évidemment, l’empathie ne saurait justifier l’asservissement d’autrui. En somme, être doué d’empathie ne signifie pas que nous devons agir obligatoirement tel qu’autrui attend/espère que nous agissions ou tel que nous pensons qu’il attend/espère que nous agissions[2].
Finalement, nous pouvons conclure ce billet en affirmant que l’égoïste sain est doué d’empathie tout en rappelant que le vécu émotionnel de nos proches est le leur et non le nôtre. Autrement dit, ce qui leur appartient leur appartient et ce qui nous appartient nous appartient. En revanche, cela ne nous dispense pas de penser à la manière dont nous posons nos actions ainsi qu’à leurs conséquences sur la vie d’autrui. L’égoïsme sain renvoie donc aux notions de frontière, de limite et d’empathie.
[1] En psychanalyse et en psychologie, l’idée développée dans se paragraphe renvoie à la notion de faux self (Winnicott, 1965). Voici un écrit accessible afin que ceux.celles qui le souhaitent puissent approfondir ce point : Pour introduire le faux self | Cairn.info
[2] Pour ceux.celles qui souhaitent approfondir ce point, vous pouvez vous référer à l’article rédigé par Boulanger et Lançon (2006) dont le titre est le suivant : L’empathie : Réflexions sur un concept. doi:10.1016/j.amp.2006.05.001 (cnrs.fr)
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